Un médecin persécuté depuis plus de 20 ans et qui a décidé de réagir !

Mes techniques thérapeutiques

 Nous allons aborder différentes stratégies thérapeutiques.

Chapitre 1:

La mort et  la problématique de l’Euthanasie!

J’ai voulu aborder le premier chapitre sur les stratégies thérapeutiques par une analyse qui peut paraître très éloignée de cet objectif mais qui prend toute son importance dans la prise en charge des patients cancéreux, à savoir le problème de la mort et la problématique de l’euthanasie.
Ce jour, jeudi 5 juillet 2012, j’ai dû conduire chez un ami vétérinaire mon chien Banjo, âgé de douze ans et demi, fidèle et loyal compagnon, pour l’euthanasier.

Cette prise de décision des plus douloureuses a été rendue obligatoire par son état de santé et la constatation qu’il n’y avait plus aucun espoir thérapeutique à lui proposer car il était manifestement atteint d’une insuffisance rénale terminale. Il était à son septième jour où il refusait de s’alimenter et nous avons dû nous résoudre à pratiquer cet ultime geste thérapeutique.

Ce brave compagnon qui était un pur produit basque ayant traversé la frontière clandestinement dans une boite en carton était à l’image de son maître, à savoir un insoumis total ayant du mal à supporter l’autorité qui lui semblait injuste, établissant entre nous des relations qui n’étaient pas toujours de tout repos.

Il paraît qu’un chien est à l’image de son maître. Pour ma part, cet adage me semble tout à fait conforme à la réalité.

L’avantage et l’inconvénient d’avoir un chien est que nous nous trouvons projetés en accéléré dans le déroulement de notre propre évolution.

Et pourtant, cette décision si douloureuse à prendre, à savoir un ultime geste d’amour pour accepter de pratiquer l’euthanasie sur son propre animal constitue un tout autre problème que celui auquel on est confronté face à un patient.

Les législateurs de tous ordres ont voulu, du moins en France, assainir le débat et restent campés sur le dogme prônant que l’euthanasie est un geste interdit et répréhensible par la loi. Cela permet de clore définitivement le débat et tous ceux qui sont amenés à réfléchir sur ce problème doivent le faire avec une extrême prudence au risque de subir les foudres de la loi.

D’autre part, dans l’évolution de notre société occidentale, à l’opposé de certaines civilisations orientales qui reposent sur le principe de la réincarnation, la mort est devenue une chose de plus en plus abstraite et rejetée.

Autrefois, dans la mesure où les gens étaient amenés à respecter une structure familiale très forte, la naissance et la mort constituaient deux éléments importants de la vie et il était de coutume, tant pour la naissance que pour la mort, d’appeler à l’aide la famille et le voisinage qui accompagnaient soit la parturiente, soit l’agonisant vers ce chemin ô combien mystérieux.

Les pouvoirs publics et médicaux se sont organisés pour prendre en charge à la fois la naissance et la mort. Il devient donc de plus en plus rare maintenant de décéder à son domicile dans son lit et pratiquement impossible d’accoucher à domicile.

Ce mode de fonctionnement a pour moi plusieurs répercussions. Tout d’abord, pour ceux qui se destinent à la prise en charge de patients lourds comme les cancéreux, il est absolument impératif pour eux d’accepter en préambule leur future mort et d’éviter ainsi de faire un transfert de leurs propres angoisses sur le patient qu’ils ont en face d’eux.

Quitte à écrire un sacrilège, je considère tout à fait regrettable, même si je sais cela indispensable, qu’il existe des unités de soins palliatifs. Pourquoi ? Et bien, dans la mesure où ces unités existent, cela permet maintenant à l’ensemble des thérapeutes intervenant dans la prise en charge des patients en fin de vie, de se décharger de ce fardeau auprès de gens plus spécialisés qui, je le redis, heureusement sont là. Ce que je regrette profondément dans le domaine de la cancérologie, c’est que les unités de soins palliatifs ne soient absolument pas totalement intégrées dans les unités de prise en charge thérapeutique. Si tel était le cas, cela permettrait une prise en  charge beaucoup plus humaine.

En pratique, on nous présente la prise en charge des patients en cancérologie comme une chose bien organisée avec le fameux comité pluridisciplinaire. Ce comité pluridisciplinaire permet soit disant la prise en charge d’un patient avec la concertation de tous les spécialistes aptes à soigner ce type de pathologie pour, en théorie, proposer le meilleur traitement possible conformément aux données actuelles de la science.

On nous vend en fait l’appartement témoin car les prises en charge dans ce domaine sont essentiellement constituées par des protocoles thérapeutiques spécialisés avec des options thérapeutiques proposées en haut lieu par des médecins ayant des prises d’intérêt avec les fabricants de médicaments. C’est le premier écueil.

Le deuxième écueil, est que dans la mesure où une décision collégiale a été prise, ceux qui prennent la décision thérapeutique ne se sentent nullement responsables individuellement de leur décision et des conséquences ultérieures qui en découlent. Ainsi, si le traitement ne marche pas, car il ne faut pas confondre efficacité transitoire avec guérison, ce ne sera la faute de personne puisque l’équipe est sensée avoir proposé le meilleur traitement possible. Puis quand l’ensemble du protocole a été expérimenté, que décemment il n’est plus possible de proposer d’autre alternative thérapeutique, il est bien plus facile de transmettre le « dossier patient » à l’unité de soins palliatifs. C’est pour cela que je considère que les unités de soins palliatifs sont un mal nécessaire mais regrettable comme il est fâcheux que ceux qui ont mis en place ces protocoles thérapeutiques, le plus souvent expérimentaux, n’aient pas à assumer directement la conséquence de leurs décisions thérapeutiques.

Il n’est pas rare de voir, dans certaines unités d’oncologie, des patients désespérés quand on leur explique que leur situation n’est plus du ressort de l’équipe thérapeutique à qui ils avaient accordé leur confiance mais qu’il convient de les confier du fait de leur état à d’autres spécialistes qui vont les aider à passer cette phase difficile.

Le problème du médecin est qu’avant tout, il est homme et il a voulu fuir ses propres angoisses existentielles en se réfugiant derrière un discours qui se veut scientifique, refusant la dimension humaine et essayant dans la mesure du possible de ne pas être présent lors de l’ultime moment.

Rares sont les médecins qui vont être présents jusqu’à cet instant, déléguant très souvent ce passage au personnel soignant infirmier et lui laissant d’ailleurs exécuter seul la toilette mortuaire.

A l’époque où j’étais étudiant, j’ai toujours été surpris de voir des chefs de service avec tout l’aréopage d’assistants, d’infirmières et d’étudiants ouvrir délicatement la porte d’un patient en phase d’agonie, demander à l’infirmière en chuchotant : « C’est toujours pareil ? Laissons-le tranquille alors. » et ne pas rentrer dans la pièce. Il est bien évident que mes propos regroupent des généralités qui ne correspondent pas à la totalité des intervenants.

Revenons à notre propos initial qui est celui de la fin de parcours.

J’ai assez d’expérience dans ce domaine pour malheureusement affirmer qu’il me paraît évident que malgré toutes les précautions que l’on peut prendre, ce passage ne se fait pas simplement et je n’exclue pas une certaine douleur qu’il est possible d’atténuer d’une manière importante avec des drogues. Néanmoins, quelle différence y a-t-il entre la naissance lors de l’accouchement et la mort ? Est-ce que le passage du nouveau-né dans la filière génitale ne constitue pas un phénomène des plus douloureux dont nous n’avons plus conscience par la suite?

Lorsque j’ai eu mon accident de plongée associé à tous les signes d’un infarctus, j’étais en état de choc. Sans avoir connu ce qui a été décrit par d’autres, j’ai eu la nette impression d’être proche de ce passage et, même si la douleur était très intense car je ne disposais pas de drogues pour la faire disparaître, j’avais une perception d’irréversibilité qui fait que vous êtes dans l’acceptation, ce qui permet finalement d’appréhender les choses différemment, avec beaucoup plus de sérénité.

De toute manière, quand nous serons amenés à connaître ce moment, nous pourrons seulement alors avoir les réponses à ces questions existentielles.

Faut-il une loi pour autoriser l’euthanasie ?

Je n’en suis pas du tout certain car le problème d’aider ou de ne pas aider quelqu’un à passer de l’autre côté est un choix très difficile. J’ai en mémoire plusieurs patients qui avaient abordé avec moi cette problématique en me demandant de les rassurer et éventuellement de les aider à quitter ce monde dès lors que leur situation serait devenue complètement intenable. Ces mêmes patients, lorsqu’ils sont arrivés à cette dite situation étaient dans l’angoisse à l’idée que l’on pourrait les aider à mourir plus vite.

Il est un fait, ce n’est pas facile pour un médecin de ne pas répondre lorsqu’un patient lui demande des moyens médicamenteux pour l’aider à passer de l’autre côté, dès lors qu’il serait dans une situation insupportable. La loi empêche bien évidemment un médecin de proposer ce type de thérapeutique.

Néanmoins, la situation reste de fait très délicate pour le médecin car va-t-il apporter quelques clés au patient  ou va-t-il refuser tout en sachant que dans ce cas les moyens utilisés risquent d’être autrement plus abominables et avec des conséquences bien plus dévastatrices pour l’entourage familial, surtout si l’intéressé a choisi une arme blanche, une arme à feu, la pendaison ou la défenestration.

Mon expérience personnelle m’a prouvé que dans chaque cas, ce qui est important, c’est de pouvoir apporter à un patient la certitude qu’il ne sera jamais abandonné et qu’il existe des moyens pour faire en sorte qu’il ne soit pas submergé par la souffrance.

Le désir d’euthanasie d’un patient repose essentiellement sur la désespérance et l’abandon. Il est proprement scandaleux qu’un médecin annonce à un patient un pronostic précis sur le nombre de mois qu’il peut lui rester à vivre. Cela me paraît honteux et scandaleux car il n’est jamais possible de savoir avec certitude combien de temps un patient va pouvoir continuer à survivre. Malgré ma grande expérience dans ce domaine, j’avoue n’avoir été capable, sans me tromper, de sentir cette fin proche que lorsque nous étions à moins de trois semaines de l’échéance. Il est évident qu’il ne faut pas berner un patient en lui apportant de faux espoirs sur une éventuelle guérison mais il est important de ne jamais fixer de limite de date. J’ai pour habitude de dire à mes patients:

    » Chaque jour est un jour gagné, les jours font des semaines, les semaines font des mois et les mois feront éventuellement des années, donc ne vous angoissez pas à l’avance de ce qui peut vous arriver un peu plus tard, Carpe diem. »

C’est pour cela que la mise en place d’une législation avec la création de commissions techniques qui prendront ou non la décision d’euthanasier les patients constituerait une sécurité administrative pour l’ensemble des intervenants mais je ne suis pas sûr que cela soit une bonne chose.

En fait nous sommes confrontés à un domaine très particulier où il est important de privilégier un relationnel intense entre le médecin et son patient. Au risque de déplaire à nos amies infirmières, si tant est que le problème se pose, c’est une concertation qui peut avoir lieu avec l’ensemble des soignants mais qui doit être principalement du ressort du médecin car c’est lui qui est censé de par sa formation avoir cette vision globale.

Il faut en effet se méfier du transfert que l’on peut réaliser sur certains patients qui présentent des douleurs à priori intolérables, lesquelles grâce à des thérapeutiques adaptées et à des changements de stratégies peuvent très souvent disparaître totalement et permettre une reprise de vie des plus confortables, ce qui pouvait paraître improbable au départ.

Par exemple, un cancer du sein, avec une évolution métastatique osseuse, reste incroyablement douloureux et la mise en place d’une chimiothérapie adaptée peut permettre de faire disparaître très rapidement la totalité des douleurs et assurer une reprise de vie normale. J’ai été très souvent confronté à des patients pour lesquels la tentation aurait pu être très grande d’abréger leurs souffrances du fait de l’état déplorable dans lequel ils étaient mais, en fait, avec souvent de petits moyens thérapeutiques sortant des sentiers battus, j’ai pu apporter une amélioration significative qui leur a très largement permis de dépasser la problématique de l’euthanasie.

Si l’euthanasie peut paraitre plus facile pour un animal, c’est qu’à priori l’animal n’a pas la même dimension philosophique et le même champ de conscience que l’humain. Pour l’humain, la situation est tout à fait différente.

J’ai en mémoire l’état d’une patiente que l’on m’avait demandé de prendre en charge et qui était en fin de parcours. C’était à mes débuts d’installation. Elle avait ses deux filles auprès d’elle. L’une d’elles, la plus angoissée, qui vivait sous le même toit, m’a demandé d’abréger le plus vite possible le calvaire de sa maman et s’est trouvée fort courroucée quand je lui ai dit que ce n’était pas dans mes possibilités et que c’était un mauvais choix car il me paraissait évident qu’avant de partir cette maman agonisante avait encore des choses à régler. J’ai été aidé dans mon choix par la connaissance de la situation familiale et de leurs difficultés. Cela s’est déroulé dans les meilleures conditions possibles puisque nous avions mis en place un traitement antalgique qui a permis d’atténuer de la manière la plus satisfaisante possible ses douleurs au moins sur le plan physique et cette maman a pu, quelques heures avant de passer de vie à trépas, enfin dire à son autre fille qu’elle l’aimait et qu’elle regrettait tout le mal qu’elle lui avait fait car elle avait conscience de l’avoir rejetée toute sa vie.

Vous voyez donc avec cette histoire qu’il n’y a pas de vérité. De même que, quand un médecin met en place un traitement antalgique avec la morphine, en fonction des doses mises en place, de la vitesse de passage de ces doses, la limite entre le soulagement et le passage à un acte d’euthanasie est très faible.

Pour conclure ce chapitre, il me paraît évident qu’il n’y a pas une seule et unique réponse. Il faut savoir louvoyer entre ses propres angoisses, celles de l’entourage familial et de l’intéressé. Il est difficile de trouver le chemin de la vérité.

Lorsque j’ai été confronté à ces situations, j’ai regretté de ne pas avoir le statut de prêtre pour m’aider à guider ces patients. Nous touchons à un domaine où l’on peut comprendre à ce moment-là, la grandeur et la difficulté du métier de médecin et l’humilité qu’il faut avoir par rapport à la maladie et surtout par rapport à la mort.

Je crois que pour un médecin la meilleure réponse que l’on puisse apporter, à la fois à ceux qui refusent de poser ce débat et à ceux qui s’érigent en militants actifs d’un droit à l’euthanasie, c’est d’arriver à trouver un chemin où, par son charisme personnel, son savoir et son expérience, on puisse soulager au mieux les souffrances du corps et de l’esprit. Lorsqu’on arrive à la fin du parcours de vie, il ne faut donc pas hésiter à utiliser les armes à notre disposition aujourd’hui telles que les dérivés de la morphine en injectable pour soulager la souffrance physique, ce qui est très facile à mettre en place si l’on veut bien s’en donner la peine et surtout si vous avez pu obtenir une étroite collaboration avec l’entourage familial proche et l’ensemble des intervenants.

D’ailleurs, la souffrance physique sera beaucoup plus facilement jugulée si vous avez su gérer la souffrance psychique en amont, dès les premières consultations, notamment en abordant, avec vos patients et leur entourage proche, cette problématique de l’angoisse de la mort, pour lever tout l’ambiguïté qu’il peut y avoir face à cette détresse. C’est pourquoi il est toujours plus intéressant, lorsque nous avons une consultation en cancérologie, d’avoir dès le début de la prise en charge la présence d’une large partie de l’entourage familial. C’est uniquement lorsque tous ces paramètres sont pris en compte que cette alchimie se réalisera dans les meilleures conditions et que les solutions se feront jour à ce moment-là le plus simplement du monde.

A suivre…..